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Apprentissage actif ou passif ? Élargissez vos horizons avec les 4 modes d’engagement cognitif du modèle ICAP

On apprend 10% de ce qu’on lit, 20% de ce qu’on entend, 30% de ce qu’on voit… Cette hiérarchie de l’efficacité des modalités d’apprentissage fait partie depuis longtemps de la grande famille des neuromythes. Elle nous permet toutefois de pointer un élément important : ce n’est pas tant la nature de l’activité qui favorise un résultat d’apprentissage, c’est l’engagement cognitif et social des étudiants dans une tâche d’apprentissage – combinée à la réflexion sur cet apprentissage (on apprend mieux à faire quelque chose quand on comprend ce que l’on fait et pourquoi on le fait) – qui leur permettent de passer d’un niveau d’apprentissage en surface vers un niveau d’apprentissage en profondeur, et de s’inscrire ainsi dans une démarche d’apprentissage actif.

Apprentissage actif et passif : à quoi fait-on référence ?

L’apprentissage actif fait référence à des approches pédagogiques centrées sur l’apprenant. Ces approches témoignent, dans le chef des enseignants, de la volonté de concevoir des activités d’apprentissage visant à impliquer les étudiants de manière dynamique dans le processus d’apprentissage. Comme le soulignait récemment Mikaël Declerck – chercheur à l’UCLouvain – lors d’une présentation de synthèse organisée au Louvain Learning Lab, l’apprentissage actif se caractérise par le fait de :

  • impliquer l’étudiant dans la construction de l’apprentissage,
  • engager l’étudiant dans un traitement en profondeur de la matière,
  • construire l’apprentissage par l’interaction (avec l’enseignant et avec les autres étudiants),
  • concevoir l’apprentissage comme une évolution des connaissances et des compétences.

Par contraste, l’apprentissage passif fait référence à des approches pédagogiques centrées sur l’enseignant, favorisant un mode d’enseignement unilatéral et transmissif. Et si les recherches indiquent globalement un effet supérieur des méthodes d’apprentissage actif sur l’apprentissage passif en terme d’efficacité sur l’apprentissage en profondeur, trois questions majeures restent en suspens :

1. Qu’entend-on réellement par apprentissage actif ?

S’agit-il de mettre les étudiants en mouvement ou de leur permettre de mieux s’engager dans une activité d’apprentissage ? N’y a-t-il pas confusion entre l’action au sens physique (la manipulation d’objets, le mouvement) et l’activité au sens cognitif du terme ? Comment définir alors le degré d’engagement nécessaire pour permettre aux étudiants d’apprendre en profondeur ? Quelles sont les manifestations de l’engagement dans une activité d’apprentissage ? Pour être visible, l’apprentissage actif est-il réservé aux activités de groupe ? Quelles activités privilégier ?

2. Est-il raisonnable de se limiter à une simple dichotomie (« apprentissage actif » vs. « apprentissage passif ») ?

Comme dans beaucoup de contextes, la simple catégorisation entre noir ou blanc n’est pas suffisante : au cours d’une même séance, une variété d’expériences et de situations d’apprentissage peut être proposée aux étudiants. Plutôt que de ranger dans des cases restreintes et réductrices, n’essaierait-on pas de penser en termes de dimensions et de continuum ?

3. L’apprentissage actif est-il nécessairement lié aux activités d’apprentissage proposées aux étudiants ?

On part souvent du principe que l’activité proposée par l’enseignant détermine le niveau de profondeur des apprentissages. Mais n’est-il pas raisonnable de penser que la manière dont l’étudiant interagit avec le matériel pédagogique a aussi son rôle à jouer dans le niveau d’apprentissage visé ?

Apprentissage actif et modes d’engagement cognitif : faites connaissance avec Michelene Chi

Michelene Chi est chercheuse en sciences cognitives, professeure et directrice du Learning and Cognition Lab de l’Université d’Etat de l’Arizona. Elle s’intéresse principalement aux questions liées à l’apprentissage actif, et à la manière dont les étudiants s’engagent concrètement avec les supports d’apprentissage. Même si elle soutient l’idée de favoriser davantage l’apprentissage actif, Chi identifie trois obstacles pratiques rencontrés par les enseignants :

  • Les recommandations qui leur sont faites sont souvent trop vagues et trop larges que pour être mises en place de manière concrète dans leurs cours,
  • Les enseignants n’ont que peu de moyens à leur disposition pour décider des meilleures activités d’apprentissage actif à intégrer dans leurs dispositifs,
  • Peu de lignes directrices existent pour permettre aux enseignants d’adapter leurs enseignements existants en vue de favoriser davantage l’apprentissage actif.

Pour surmonter ces obstacles, Chi et son équipe se sont lancés dans une vaste tâche de fond : recenser la littérature scientifique existante sur l’apprentissage actif et affiner les caractéristiques de celui-ci. Son objectif ? Proposer aux enseignants des principes clairs pour améliorer leur pratique et favoriser l’apprentissage en profondeur. En passant en revue les études réalisées sur le sujet, ils ont donc examiné :

  • comment les étudiants s’engagent cognitivement dans différentes activités et comment ils exploitent les supports d’apprentissage (participer à un cours magistral, lire un livre, regarder une vidéo…),
  • les liens entre ces modes d’engagement cognitif et les comportements observables, ouvertement exprimés par les étudiants lorsqu’ils étaient en train d’apprendre.

Au bout du compte, quatre modes d’engagement cognitif (et leurs comportements associés) voient le jour, à travers le modèle ICAP. Dans cette vidéo, Michelene Chi partage le fruit de ses travaux à l’occasion du Knowledge Forum organisé en 2016 par l’AERA (American Educational Research Association) :

Dépasser la dichotomie entre apprentissage actif et passif : les 4 modes d’engagement cognitif du modèle ICAP

Le modèle ICAP a pour objectif d’élargir la notion d’apprentissage actif traditionnel en proposant un continuum constitué de quatre modes d’engagement cognitif principaux : il s’agit des modes d’engagement passif, actif, constructif et interactif. Ceux-ci s’intègrent dans une hiérarchie (I > C > A > P), chaque mode d’engagement prédisant un niveau d’apprentissage différent et graduel, allant d’un niveau apprentissage en surface (modes passif et actif) vers un niveau d’apprentissage en profondeur (modes constructif et interactif).

Lier apprentissage actif et engagement cognitif : le modèle ICAP de Michelene Chi | Louvain Learning Lab
traduit et adapté d’après Chi & Wylie (2014)

1. Mode d’engagement passif

Dans le mode d’engagement passif, les apprenants sont orientés vers la réception d’informations provenant du matériel d’apprentissage. Dans ce cadre, ils font preuve d’un engagement cognitif limité. Aucun comportement exprimé de leur part ne permet d’attester qu’ils s’approprient le matériel. Le fait de simplement écouter un enseignant donner cours, de regarder une vidéo sans prendre de notes, de lire un livre sans surligner quoi que ce soit… rentre dans le cadre de ce mode d’engagement cognitif, d’où le fait qu’il soit considéré comme « passif ».

Sans prétendre qu’il soit impossible d’apprendre quelque chose dans ce mode, il prédit un niveau d’apprentissage plutôt faible sur le long terme (apprentissage en surface). Dans la plupart des contextes d’enseignement et d’apprentissage (que ce soit en ligne ou en présentiel), c’est le mode d’engagement cognitif qu’on cherchera à éviter le plus possible. À tout le moins, si l’on veut favoriser des résultats d’apprentissage qui dépassent les intentions de la prise de connaissance ou d’information.

2. Mode d’engagement actif

Dans le mode d’engagement actif, les apprenants sont orientés vers la manipulation d’informations provenant du matériel d’apprentissage. Dans ce cadre, l’engagement cognitif des apprenants peut être considéré comme « actif » à partir du moment où il implique une certaine forme d’action de leur part : il nécessite d’exercer une attention soutenue et de sélectionner l’information. Le fait d’interagir avec le matériel d’apprentissage, de manière parfois très différente, rentre dans ce cas de figure, par exemple :

  • pointer une partie de la matière au tableau,
  • surligner et annoter des passages importants dans un texte,
  • mettre une vidéo en pause et revenir en arrière pour re-visionner un passage,
  • recopier les étapes de résolution d’un problème…

Il s’agit du niveau minimal d’engagement cognitif auquel on souhaiterait faire accéder les apprenants. Il peut être encouragé de manière explicite par l’enseignant et via les supports d’apprentissage proposés. Il est nécessaire au travail individuel et peut être mobilisé même lors d’une activité d’enseignement magistral.

3. Mode d’engagement constructif

Dans le mode d’engagement constructif, les apprenants sont orientés vers la transformation et la production d’informations qui ne sont pas fournies de base dans le matériel d’apprentissage. Dans ce cadre, les résultats d’apprentissage devraient dépasser la simple manipulation du mode précédent pour générer de nouvelles idées, de nouvelles connaissances, de nouvelles inférences, qui vont au-delà des informations données aux apprenants. Entre autres exemples de ce mode d’engagement cognitif, notons le fait de :

  • représenter un contenu de manière visuelle (sous forme de schéma, de diagramme, de sketchnote…),
  • étudier une matière en faisant des liens avec d’autres parties du cours (voire d’autres cours),
  • créer une carte heuristique ou une carte conceptuelle pour structurer les différentes parties d’une matière,
  • réaliser une synthèse en induisant des hypothèses et des relations…

À ce stade, on passe clairement d’un apprentissage en surface vers un apprentissage en profondeur. Il est vraisemblable que, en favorisant un mode d’engagement constructif, l’étudiant se trouvera en bien meilleure posture pour s’approprier un contenu de manière efficace et pérenne.

N.B. Même si non explicité directement dans le modèle ICAP, on retrouve ici des liens avec des stratégies d’apprentissage bien connues (comme la pratique de récupération, l’élaboration, l’intercalage, l’exemplification concrète et le double codage).

4. Mode d’engagement interactif

Dans le mode d’engagement interactif, les apprenants sont orientés vers un dialogue (en binômes ou en petits groupes). Dans ce cadre, on suppose que les étudiants sont déjà passés chacun individuellement par le mode d’engagement constructif, afin qu’ils soient plus ou moins au même niveau d’apprentissage. En s’engageant ainsi dans un mode interactif, les apprenants échangent et génèrent des idées, qui résultent elles-mêmes en de nouvelles idées et de nouvelles productions qu’aucun apprenant n’aurait pu générer à lui tout seul. On peut ici penser aux activités de groupe visant à permettre aux étudiants de :

  • défendre et argumenter chacun une position,
  • développer leur esprit critique en demandant de justifier des points imprécis de la matière,
  • se poser des questions entre eux et y répondre mutuellement,
  • clarifier, construire et corriger les propos de chacun…

Selon Chi et ses collaborateurs, il s’agit du mode d’engagement cognitif le plus efficace du modèle ICAP. Les étudiants atteignant ce mode sont susceptibles d’arriver à un niveau d’apprentissage en profondeur plus élevé que dans le mode d’engagement cognitif précédent.

Lier apprentissage actif et engagement cognitif : le modèle ICAP de Michelene Chi | Louvain Learning Lab
traduit et adapté d’après Chi & Wylie (2014)

Modèle ICAP, engagement cognitif et apprentissage actif : que retenir ?

Tout d’abord, le modèle ICAP réunit la synthèse de dizaines d’années de recherches en matière d’apprentissage actif. Et ce n’est pas tous les jours qu’on voit émerger un modèle intégratif de cette qualité. En cela, il propose de rassembler chercheurs et praticiens (pédagogues, conseillers, enseignants…) autour d’un vocabulaire commun, simple à comprendre et à appliquer, quel que soit le type de dispositif envisagé (présentiel, en ligne ou mixte).

Ensuite, le modèle ICAP permet de se rendre compte d’un élément évident : l’apprentissage des étudiants varie en fonction de leur mode d’engagement cognitif avec le matériel d’apprentissage. En outre, plus les étudiants se rapprocheront d’un mode d’engagement constructif et interactif, plus ils apprendront en profondeur.

Enfin, ce modèle a également pour avantage de donner aux enseignants des lignes directrices pratiques pour les aider à améliorer ce qui relève de leur responsabilité : donner des occasions d’apprendre en combinant des situations d’apprentissage variées, qui mobilisent l’attention des apprenants et leur permettent d’atteindre les acquis d’apprentissages visés. Le modèle ICAP peut donc leur permettre de mieux comprendre comment structurer leurs activités d’enseignements, et aussi d’identifier plus clairement les niveaux d’engagement qu’ils souhaitent induire auprès de leurs étudiants.

Rappelons-le : tout comme pile et face, apprendre et enseigner se trouvent chacun sur un côté de la pièce… mais ils appartiennent à une seule et même pièce !

EN RÉSUMÉ

  1. Malgré les bénéfices démontrés depuis des années à son égard, l’apprentissage actif reste encore une notion floue et pas suffisamment concrète. En raison de ce manque de clarté, il est parfois difficile pour les enseignants de proposer des dispositifs pédagogiques permettant d’engager réellement leurs étudiants.
  2. Sur base des travaux de Michelene Chi et ses collègues, le modèle ICAP permet de lier les modes d’engagement cognitif des étudiants à leurs niveaux d’apprentissage. Il induit ainsi une relation hiérarchique, chaque mode d’engagement (passif, actif, constructif et interactif) prédisant un niveau d’apprentissage différent et graduel, allant d’un niveau apprentissage en surface vers un niveau d’apprentissage en profondeur (I > C > A > P).
  3. Du point de vue des enseignants, ce modèle intégratif permet d’affiner la conception de dispositifs pédagogiques. En outre, il permet une meilleure vision globale des modes d’engagement cognitif à susciter auprès de leurs étudiants, afin de rendre les apprentissages plus efficaces. En plus de proposer un vocabulaire commun et plus précis, il offre aussi des perspectives d’utilisation concrètes et pratiques pour les enseignants et les conseillers pédagogiques.

Sources & Références

Chi, M.T.H. (2009). Active-Constructive-Interactive: A conceptual framework for differentiating learning activities. Topics in Cognitive Science, 1(1), 73-105. https://doi.org/10.1111/j.1756-8765.2008.01005.x

Chi, M.T.H. & Wylie, R. (2014). The ICAP framework: Linking cognitive engagement to active learning outcomes. Educational Psychologist, 49(4), 219-243. https://doi.org/10.1080/00461520.2014.965823

Chi, M.T.H., Adams, J., Bogusch, E.B., Bruchok, C., Kang, S., Lancaster, M., Levy, R., Li, N., McEldoon, K.L., Stump, G.S., Wylie, R., Xu, D. & Yaghmourian, D.L. (2018). Translating the ICAP theory of cognitive engagement into practice. Cognitive Science, 42(6), 1777-1832. https://doi.org/10.1111/cogs.12626

Menekse, M., Stump, G.S., Krause, S. & Chi, M.T.H. (2013). Differentiated overt learning activities for effective instruction in engineering classrooms. Journal of Engineering Education, 102(3), 346-374. https://doi.org/10.1002/jee.20021

Par David Vellut

Psychologue, conseiller pédagogique et chargé de mission MOOC au sein du Louvain Learning Lab, David Vellut est un passionné d'innovation pédagogique et de développement professionnel, avec un goût prononcé pour la recherche scientifique et les pratiques 'evidence-based'. Sur ce blog, il partage avec vous ses réflexions, conseils et outils pour concevoir des expériences d'apprentissage efficaces et motivantes.

5 réponses sur « Apprentissage actif ou passif ? Élargissez vos horizons avec les 4 modes d’engagement cognitif du modèle ICAP »

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Bonjour,
J’ai été très intéressé par cette recherche que j’ai trouvé lorsque je cherchais des travaux sur l’engagement cognitif. Merci de ce partage indispensable.
J’aimerais savoir si vous avez des résultats de recherche au sujet de la relation enseignant/enseigné. La posture du professeur. L’éthique etc…
Quelle type de relation enseignant/enseigné serait la plus efficiente pour transmettre, favoriser l’intériorisation de savoirs enseignés ou à enseigner ?
En France, peu s’intéresse à cette dimension. De nombreux élèves refusent d’apprendre car « ils n’aiment pas le professeur » et certains s’engageraient au départ car le prof est sympa. Exigeant, intransigeant mais il fait attention à nous, se met à notre place, réfléchi pour améliorer le cours etc…Bref, le professeur fait intégralement parti de l’équipe classe pour aller dans la même direction et accompagner chacun sur le parcours de formation qu’ils désirent.
Merci. Passez de bonnes fêtes.
Bruno CARLOS (professeur d’EPS)

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